À l’occasion de la ressortie anniversaire d’OK Cowboy, vingt ans après son impact initial, retour sur le parcours d’un créateur qui a fait de l’intensité une signature.
“La musique électronique, ce n’est pas la froideur : c’est une énergie très humaine, mais amplifiée.” – Vitalic
Il apparaît rarement. Il parle peu. Il préfère laisser les machines respirer à sa place. Depuis plus de deux décennies, Vitalic — Pascal Arbez-Nicolas pour l’état civil — incarne une forme singulière de la musique électronique française : une techno émotionnelle, fiévreuse, traversée de mélodies acides et de lumières mentales. Il avance entre deux mondes : celui de la fête et celui du silence, celui de la saturation et celui de la délicatesse, celui des clubs et celui de la solitude des studios. Vitalic n’a jamais voulu être une icône : il s’est simplement concentré sur l’essentiel, le son. Et ce son, justement, a fini par marquer son époque.
De Dijon aux scènes du monde : un artisan électronique
Pascal Arbez-Nicolas naît en 1976 à Dijon, loin des capitales électroniques qui façonnent les tendances. Il y découvre pourtant ce qui deviendra la matrice de son univers : les clubs alternatifs, les labels indépendants, les nuits où la musique se vit comme une petite révolution intime. Formé au conservatoire, passionné de synthèse sonore, il développe très tôt une oreille hybride : classique dans la rigueur, punk dans l’énergie, techno dans l’esprit.
À la fin des années 1990, il se fait repérer avec quelques maxis confidentiels, puis signe chez International Deejay Gigolo, le label de DJ Hell. Le titre “La Rock 01” explose sur les dancefloors européens. Brutal, euphorique, immédiat, il devient un hymne. Un premier signe que quelque chose d’inédit se prépare : une musique électronique qui ne se contente pas de faire danser, mais qui cherche à emporter tout le corps.
En 2005, OK Cowboy confirme cette intuition. L’album est un choc. Une techno abrasive, mais jamais froide. Des mélodies synthétiques qui se gravent dans la mémoire. Des respirations étranges, parfois tendres. Une esthétique à la fois rave, pop et industrielle. Vitalic devient alors l’un des visages de la nouvelle scène française, aux côtés de Miss Kittin, Kiko, The Hacker ou DJ Hell. Mais il reste solitaire dans son approche, refusant les chapelles, les classifications, les tendances trop bien définies. Dijon devient un point de départ, pas une limite. Le monde commence à entendre sa voix — ou plutôt sa vibration.
Une personnalité discrète, un son incandescent
Il y a chez Vitalic une contradiction fascinante. L’homme est discret, presque réservé. Sa musique, au contraire, est débordante, volcanique, massive. On pourrait croire à une dissonance, mais c’est tout le contraire : c’est précisément dans cette tension que s’écrit sa singularité. Dans son studio, il travaille comme un artisan. Il façonne les sons à la main, couche par couche, texture par texture. Il aime les synthés analogiques, les imperfections numériques, les saturations contrôlées. Il crée des lignes de basse qui vibrent comme des moteurs, des mélodies qui s’envolent comme des éclairs. Sa musique n’est jamais conceptuelle : elle est physique. Elle parle au ventre avant de parler à la tête.
Sur scène, c’est une autre histoire. Vitalic y devient électricité. Ses lives, réputés parmi les plus intenses de la scène électronique, jouent avec l’hypnose visuelle, la puissance sonore, la transe collective. Il n’est pas là pour illustrer. Il n’est pas là pour divertir. Il est là pour créer un espace où tout devient possible — un lieu où le son devient un geste, un choc, une pulsation commune. Cette double nature — l’introspection du studio et l’explosion de la scène — explique peut-être pourquoi il a toujours refusé l’étiquette de “DJ superstar”. Sa force est ailleurs : dans la constance, la précision et la recherche d’un équilibre entre énergie pure et sensibilité profonde.
Une influence durable : entre French Touch, techno européenne et pop futuriste
Même s’il n’appartient à aucune école, Vitalic a profondément nourri plusieurs scènes.
Il arrive après la première vague de la French Touch, celle de Daft Punk et Cassius, mais il ne s’y fond jamais totalement. Sa musique est plus brute, plus acide, plus frontale. Elle emprunte à la techno allemande, à l’electroclash, au disco sombre, à la pop synthétique. Elle invente un territoire. C’est ce territoire que beaucoup, après lui, exploreront. Avec OK Cowboy, Flashmob, Rave Age, Voyager ou Dissidænce, il construit une discographie qui trace une ligne claire : celle d’une musique électronique qui peut être mélodique sans être douce, violente sans être cynique, populaire sans être facile. Il influence autant les producteurs de techno que ceux de pop électronique. Des artistes revendiquent son travail pour son intensité émotionnelle autant que pour ses innovations dans la synthèse sonore.
Il est aussi l’un des premiers à avoir réconcilié deux mondes souvent opposés : le monde du club et celui de la scène live. Ses concerts, avec leurs lumières stroboscopiques et leurs structures monolithiques, ont inspiré une génération de performers électroniques qui ont compris que l’on pouvait jouer la techno comme on joue un concert rock. Enfin, son influence se prolonge dans son rapport au temps. Vitalic n’a jamais cherché à suivre les modes : il crée les siennes. Chaque album propose un univers cohérent, une signature reconnaissable entre toutes. Comme si sa musique cherchait moins à être “tendance” qu’à être durable.
L’éternité dans un battement synthétique
Vingt ans après la sortie de OK Cowboy, Vitalic reste un électron libre, un architecte de sons, un sculpteur d’énergie. Il n’a pas cédé aux surenchères, aux excès d’image, aux artifices faciles. Il a préféré la constance, la sincérité, la précision. Et c’est peut-être pour cela que sa musique traverse le temps. Ses morceaux n’appartiennent à aucune époque. Ils appartiennent au mouvement. À la sueur. À la sensation. À cette manière qu’il a de transformer un son synthétique en émotion humaine. À cette intensité qui, depuis Dijon, n’a jamais faibli. Vitalic n’a jamais voulu être un symbole. Il l’est pourtant devenu — celui d’une musique électronique qui n’a pas peur du cœur.
Vitalic : OK Cowbot 20Y (Citizen records)







