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The Cure : Killing an Arab, sous le soleil de Camus

Le soleil de Camus brûle à nouveau. Pour son adaptation de L’Étranger, sortie mercredi dernier, François Ozon a choisi une chanson que l’on croyait maudite : Killing an Arab de The Cure. Quarante-sept ans après sa création, Robert Smith a accepté que son morceau résonne dans le film — pour, dit-il, “le remettre dans son contexte”. Une boucle se referme, entre littérature, malentendu et rédemption.

Le roman dans une guitare

À la fin des années 1970, Robert Smith n’a pas encore vingt ans. Il lit L’Étranger d’Albert Camus et reste hypnotisé par sa sécheresse, cette manière d’écrire le vide avec la lumière. Alors, il prend sa guitare et compose une chanson-miroir. “It was a short poetic attempt at condensing my impression of the key moments in the 1942 novel The Stranger by Albert Camus.” – « Une brève tentative poétique pour condenser mon impression des moments clés du roman L’Étranger de 1942. »

Tout est là : le soleil blanc, la plage, l’ombre du revolver, l’absurde. “It just happened that the main character in the book had actually killed an Arab, but it could have been a Scandinavian or an English bloke.”
« Il se trouve simplement que le personnage du roman a tué un Arabe, mais cela aurait pu être un Scandinave ou un Anglais. » – La guitare, sèche et tendue, devient le souffle de Meursault. Pas d’émotion, pas de jugement : juste la chaleur, la poussière et la distance.

Le malentendu

Mais les mots voyagent mal. En 1978, Killing an Arab paraît sur un petit label londonien. Très vite, le titre choque, puis scandalise. On le détourne, on le brandit. Certains y voient une provocation raciste ; d’autres une énigme. Smith, effaré, répète que tout vient de Camus, que la chanson ne prêche rien sinon l’absurde. “The song has absolutely no racist overtones whatsoever. It’s about existentialism and the absurdity of life.”
« La chanson n’a absolument aucune connotation raciste. Elle parle d’existentialisme et de l’absurdité de la vie. »

Pour éviter tout détournement, le groupe ajoute plus tard un avertissement sur ses disques : “This song decries all prejudice and violence.” Malgré tout, le malentendu s’enracine. Le morceau est censuré aux États-Unis, ignoré ailleurs. Et pourtant, derrière le scandale, la chanson demeure ce qu’elle fut toujours : un cri calme, une lecture musicale de Camus.

Le retour à la lumière

C’est François Ozon qui a rouvert la porte. Déjà, dans Été 85, il avait glissé In Between Days dans la bande-son, comme une déclaration d’amour à The Cure. Pour L’Étranger, il ose le geste inverse : inviter Killing an Arab dans le film même qui l’a inspirée. Robert Smith, après réflexion, accepte. Il explique que cette utilisation “puts the song back in its context” —
« replace la chanson dans son contexte. »

Dans le film, la chanson surgit comme une lumière noire, au moment du procès, entre l’indifférence et la culpabilité. La voix de Smith y devient celle de Meursault : lasse, lucide, traversée d’un soleil qu’elle ne peut fuir. Ozon filme la même blancheur que celle de la guitare ; il fait de la chanson un écho, pas une citation. Dès lors, Killing an Arab cesse d’être une provocation pour redevenir ce qu’elle a toujours été : un poème de sable et d’éblouissement, une méditation sur l’absurde. Smith n’y règle pas un compte ; il rend justice à un malentendu vieux de quarante ans.


L’étranger de François Ozon avec Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Christophe Malavoy, Pierre Lottin, Swann Arlaud, Denis Lavant – Sortie le 29 octobre 2025

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