Un vent tiède, un riff de guitare, une lumière qui glisse sur la mer. Dans cette image, il y a toujours un pull rayé. Le pull marin n’a pas besoin de saison : il appartient au temps suspendu des départs. Trop chaud pour l’été, trop léger pour l’hiver, il vit dans l’entre-deux. C’est là sa force — une pièce simple, stable, qui garde en elle la nostalgie du large et la douceur des dimanches. Il ne fait pas de bruit, il berce.
On le croise sur les quais de Saint-Malo, dans les clips de Françoise Hardy, sur les épaules d’un étudiant fatigué ou d’une fille qui attend un train. Toujours le même, et pourtant jamais tout à fait pareil. Le pull marin a ce pouvoir rare : il donne à celui qui le porte une allure d’histoire ancienne, sans artifice. Ce n’est pas un vêtement, c’est un souvenir tricoté.
Ses rayures ont traversé les siècles comme une chanson qu’on connaît trop bien pour encore l’écouter. Né dans les ports bretons au XIXᵉ siècle, tissé serré pour résister au vent et aux embruns, il a quitté les ponts des bateaux pour les rues de Paris. Coco Chanel l’a rendu mondain, Picasso l’a transformé en uniforme d’artiste, Jean Seberg l’a fait poème. Depuis, il flotte entre les genres, entre les âges, entre les modes — fidèle à lui-même, fidèle au large.
Entre mer et mémoire
Il y a, dans le pull marin, une géographie du geste. Quand on l’enfile, on enfile un horizon. Sa laine râpe un peu, son col serre juste ce qu’il faut, et soudain tout ralentit. Il sent la lessive, le vent, parfois même l’humidité des garde-robes anciennes. Il rappelle ces morceaux de pop française où la mélancolie se fait mélodie — entre Bashung et Dominique A, entre le froid et le feu. Ainsi, son motif, la rayure, est un rythme : une pulsation visuelle. Elle structure le regard comme une portée musicale. Les bandes bleues et blanches jouent leur partition avec rigueur, mais jamais sans poésie.
Porter un pull marin, c’est se laisser traverser par cette régularité douce, presque hypnotique — un battement tranquille contre le vacarme du monde. Et, au-delà de sa forme, il incarne un certain rapport au temps : celui des choses qui durent, qui s’usent, qui se transmettent. Là où d’autres vêtements s’imposent, lui s’installe.
En 2025, le pull marin réapparaît avec la sérénité des classiques. Ni nostalgie ni revival : simplement la justesse. Les silhouettes l’adoptent oversize ou raccourci, en laine recyclée ou en coton dense. Lemaire en fait une pièce quasi méditative, à la fois intellectuelle et charnelle ; AMI Paris le revisite avec un col bateau plus doux, un tricot plus rond ; Maison Kitsuné le connecte à la pop et à la jeunesse, en y glissant une note d’ironie. De cette manière, il rejoint le mouvement du slow dressing — une mode plus lente, consciente, presque musicale. On ne le porte pas pour être vu, mais pour se sentir accordé. Et, au fond, c’est bien là tout son charme : le pull marin ne revendique rien, il apaise.
Les maisons du large
Pourtant, impossible d’évoquer le pull marin sans saluer celles et ceux qui l’ont façonné au fil du temps. Il existe des noms que l’on prononce comme des ports. Saint James, d’abord, le plus emblématique, né dans la Manche, tricote encore ses pulls dans la pure laine vierge, épaisse et fidèle. Ses modèles sont conçus pour durer plus qu’une mode — pour traverser les générations, comme les bateaux qu’ils accompagnaient autrefois.
De son côté, Armor Lux, née à Quimper, cultive une version plus accessible, mais tout aussi sincère : rayures régulières, teintes profondes, laine solide. C’est la Bretagne qui parle, droite, sans détour. Petit Bateau, plus joueur, en a fait un basique universel : le pull marin de l’enfance, celui des premiers étés, des départs à vélo, des rires qui sentent le sel. Et puis, il y a Agnès b., pour qui la rayure est presque un manifeste. Depuis les années 1980, la créatrice française n’a jamais cessé d’aimer le motif marin, qu’elle glisse dans ses vestiaires comme une note d’optimisme discret. Chez elle, la marinière devient langage — entre la tendresse de l’enfance et la liberté de l’art.
Ainsi, ces maisons, qu’elles soient patrimoniales ou créatives, partagent un même idéal : faire durer la simplicité, sans nostalgie ni folklore. Leur savoir-faire est une forme de musique textile — un battement régulier, précis, apaisant, comme le flux et le reflux des marées.
Le vêtement du silence
Ce qui touche dans le pull marin, c’est sa pudeur. Il ne cherche pas la séduction, il protège,il enveloppe sans dominer, réchauffe sans retenir. On le porte sur un jean clair, une jupe fluide, ou à même la peau — et il suffit. Pas besoin d’accessoires, pas besoin d’effets. Le style vient de la retenue, du geste mesuré, de cette façon qu’ont certains vêtements de ne rien dire tout en disant tout. D’une certaine manière, il incarne une forme de résistance silencieuse à la mode instantanée, le style n’est pas affaire de nouveauté, mais de constance. Il y a des jours où l’on veut ressembler à une chanson de Dominique A : peu de mots, beaucoup de sens. Le pull marin, c’est cette chanson. Il ne brille pas, il persiste.
Ainsi, le pull marin continue de traverser les époques avec la même obstination tranquille. Chaque génération croit le redécouvrir, alors qu’il n’est jamais parti. Il reste, simplement, à la surface du temps — comme une bouée, comme un refrain. Et si vous tombez sur un vieux modèle dans une friperie, un peu rêche, un peu tordu, ne le jugez pas. Essayez-le. Vous verrez : il garde encore la chaleur de ceux qui l’ont porté avant vous, et peut-être un peu du vent qu’ils regardaient passer.







