Il y a des décennies où la musique se contente de suivre les tendances. Et puis il y a des moments, plus rares, où elle les invente. 2025 est de ceux-là. Le post-punk, ce courant né des cendres du punk dans les années 1970, n’a jamais été aussi vivant, aussi nécessaire, aussi actuel qu’aujourd’hui. Porté par une nouvelle génération de groupes – Wet Leg et leur ironie mordante, Idles et leur colère politique, Shame et leur urgence brute, sans oublier Bar Italia et leur mélange de désinvolture et de sophistication – ce genre musical, autrefois marginal, domine désormais les playlists, les festivals et les débats culturels.
Comment expliquer ce renouveau ? Pourquoi ces quatre formations, si différentes dans leurs approches, captent-elles l’air du temps avec une telle justesse ? Et en quoi leur musique, à la fois héritière et résolument moderne, parle-t-elle si profondément aux jeunes générations ?
Un genre qui refuse de mourir
Le post-punk a toujours été un mouvement de résistance. Né dans l’Angleterre des années 1970, il était une réponse à l’excès du punk, une exploration des marges, une quête de complexité là où le punk avait privilégié la simplicité et la provocation brute. Aujourd’hui, il est devenu bien plus qu’un simple style musical : une langue universelle pour exprimer la colère, l’ironie, la mélancolie et l’urgence d’une époque où tout semble en crise permanente.
Quatre groupes incarnent particulièrement cette renaissance :
- Wet Leg, qui a redonné au post-punk son côté ludique et ironique.
- Idles, qui en a fait un vecteur de colère politique et sociale.
- Shame, qui capture l’urgence et la désillusion d’une génération.
- Bar Italia, qui mêle sophistication et désinvolture, entre glamour et provocation.
Chacun à leur manière, ils ont su moderniser les codes du genre sans en trahir l’esprit. « Le post-punk aujourd’hui, c’est comme un vieux vin qu’on aurait mis dans une bouteille neuve », résumait récemment The Guardian dans un dossier consacré à la scène londonienne.
Wet Leg : l’ironie comme arme de destruction massive
Wet Leg a explosé en 2022 avec Chaise Longue, un tube qui a fait le tour du monde. Leur force ? Avoir réussi l’impossible : rendre le post-punk drôle. Pas drôle au sens de comique de stand-up, mais drôle dans le sens où ils jouent avec les codes, les détournent, les poussent à l’absurde. Leur musique, à la fois minimaliste et ultra-efficace, est un mélange de basses groovy, de guitares qui grattent et de textes qui oscillent entre l’autodérision et la mélancolie.
Leur deuxième album, Wet Leg (2024), a confirmé leur statut de phénomène. Des morceaux comme Too Late Now ou Supermarket sont des bijoux d’écriture, où chaque mot semble avoir été pesé pour son effet comique ou tragique. « On veut que les gens rient, mais aussi qu’ils se sentent un peu mal à l’aise », expliquait Rhian Teasdale, la chanteuse, dans une interview au NME. Une philosophie qui résume à elle seule leur approche : utiliser l’ironie pour parler de sujets sérieux, comme l’anxiété, la dépression ou les attentes sociales.
Leur succès a aussi montré que le post-punk pouvait être grand public sans perdre son âme. Wet Leg a vendu des centaines de milliers d’albums, rempli des salles immenses, et pourtant, leur musique reste aussi tranchante et imprévisible que celle des groupes underground des années 80.
Idles : la colère comme catalyseur
Si Wet Leg joue avec l’ironie, Idles, eux, brandissent la colère comme un étendard. Formé à Bristol en 2009, le quintet a mis près d’une décennie à percer, mais depuis Brutalism (2017), ils sont devenus l’un des groupes les plus influents de la scène post-punk moderne. Leur musique est un mélange de riffs de guitare abrasifs, de rythmiques martiales et de textes politiques qui ne laissent personne indifférent.
Leur dernier album, Tangled Up (2025), est peut-être leur travail le plus abouti. Des morceaux comme The Beachland Ballroom ou Dancer montrent une maturité nouvelle, où la rage pure des débuts laisse place à une réflexion plus nuancée sur la masculinité, la santé mentale et les fractures sociales. « On ne veut plus juste crier notre colère, on veut aussi en parler », expliquait le chanteur Joe Talbot dans The Quietus.
Ce qui distingue Idles, c’est leur capacité à transformer la colère en quelque chose de constructif. Leurs concerts sont des expériences cathartiques, où le public hurle les paroles en chœur, comme s’il exorcisait ses propres frustrations. « Ils ont redonné au post-punk sa dimension politique, tout en évitant le piège du moralisme », notait Pitchfork dans une critique élogieuse.
Shame : l’urgence comme esthétique
Shame, eux, incarnent l’urgence. Depuis leur premier album, Songs of Praise (2018), ils ont construit une réputation de groupe intransigeant, dont la musique est à la fois brutale et poétique. Leur dernier opus, Food for Worms (2024), a marqué un tournant, avec des morceaux comme Fingers of Steel ou Six-Pack qui mêlent une énergie punk à des mélodies presque pop.
Ce qui frappe chez Shame, c’est leur capacité à capturer l’énergie du moment. Leurs textes parlent de désillusion, de quête de sens, de la difficulté d’être jeune dans un monde en crise. « On essaie de dire les choses comme elles sont, sans fard », expliquait le chanteur Charlie Steen dans The Line of Best Fit. Leur musique est un miroir tendu à leur génération, un reflet de ses angoisses, mais aussi de sa vitalité.
Leur approche est plus instinctive que celle d’Idles, plus brute que celle de Wet Leg. Mais c’est précisément cette urgence, cette impression que chaque note pourrait être la dernière, qui les rend si captivants.
Bar Italia : le glamour et la provocation
Et puis il y a Bar Italia. Un trio londonien qui, après avoir longtemps cultivé l’art de l’ombre, a soudain décidé d’embrasser la lumière. Leur dernier album, Some Like It Hot (2025), est une déclaration d’intention : un mélange de post-punk nerveux, de glamour désinvolte et de provocation assumée.
Ce qui distingue Bar Italia, c’est leur capacité à jouer avec les apparences. Leur musique, à la fois sophistiquée et brute, évoque les excès des années 80 tout en restant résolument moderne. « On ne veut pas être pris trop au sérieux, mais on ne veut pas non plus être ignorés », expliquait Nina Cristante, la chanteuse, dans une interview à The Line of Best Fit.
Leur approche est plus subtile que celle des autres groupes de la scène. Ils ne crient pas leur colère, ils ne jouent pas la comédie. Ils préfèrent la désinvolture, l’ironie, et une forme de glamour qui rappelle que le post-punk peut aussi être élégant. « On veut que notre musique soit comme un bon costume : bien coupé, mais avec une tache de vin quelque part », résumait-elle.
Pourquoi ces groupes parlent-ils autant aux jeunes générations ?
Le succès de Wet Leg, Idles, Shame et Bar Italia ne doit rien au hasard. Il s’explique par leur capacité à capturer l’esprit du temps, à donner une voix aux frustrations et aux espoirs d’une génération qui a grandi dans un monde en crise permanente.
Le post-punk, aujourd’hui, n’est plus un genre musical. C’est un état d’esprit. Un moyen de dire : « Je ne suis pas d’accord, mais je ne renonce pas pour autant. » C’est une musique qui parle de résistance, mais aussi de résilience. Qui exprime la colère, mais aussi l’espoir. Et c’est peut-être pour cela qu’elle résonne si fort en 2025.







