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Wish You Were Here : Cinquante ans d’absence distillés en cocktail

Cinquante ans ont passé, et Wish You Were Here continue de flotter comme une présence fantôme. C’est un album qui parle d’absence plus que de musique, de silence plus que de notes, d’amitié brisée plus que de gloire. En 1975, Pink Floyd signe un disque en retrait, presque immobile, né d’un malaise profond face à l’industrie, au succès, et à la disparition intérieure de Syd Barrett. Rien n’y est tapageur. Tout y est suspendu. Le cocktail inspiré de cet album ne peut être qu’un murmure liquide, un verre contemplatif, une lente dérive ambrée où chaque gorgée semble poser la même question : où es-tu ?

À l’époque de Wish You Were Here, Pink Floyd est au sommet et pourtant vidé. The Dark Side of the Moon a tout absorbé : l’énergie, l’innocence, les certitudes. Ce nouvel album se construit sur le manque. Le manque d’un ami perdu dans ses propres labyrinthes, le manque de sincérité dans une industrie devenue mécanique, le manque de chaleur humaine. Les synthés s’étirent comme des nappes de brouillard, les guitares pleurent sans jamais crier, la voix de David Gilmour semble toujours sur le point de s’effacer. Shine On You Crazy Diamond est une vigie, un appel dans le vide, tandis que le morceau-titre, d’une simplicité déchirante, agit comme une lettre jamais envoyée. La couleur de l’album est celle d’un soleil brûlant vu à travers une vitre sale, un or poussiéreux, une chaleur qui n’atteint jamais vraiment la peau. C’est un disque lent, contemplatif, qui accepte le silence comme une matière musicale.

Transformer l’absence en cocktail

Pour traduire cette mélancolie dorée en verre, il fallait un alcool calme, profond, presque méditatif : le whisky écossais, légèrement tourbé, choisi non pour sa force mais pour sa persistance. Autour de lui, des notes sobres, jamais démonstratives : miel de bruyère pour la douceur fragile, citron discret pour rappeler la lumière, et une infusion très légère de thé lapsang souchong pour évoquer la fumée lointaine, les souvenirs qui flottent comme des braises éteintes. Le cocktail devait être lent, presque immobile. Ici, le shaker est à peine utilisé. On assemble plus qu’on ne secoue, comme on rassemble des fragments de mémoire.

Dans un verre old fashioned, on verse doucement 5 cl de whisky écossais légèrement tourbé, puis 1 cl de miel de bruyère préalablement dilué pour qu’il se fonde sans alourdir. 2 cl de thé lapsang souchong infusé et refroidi arrivent comme une ombre, presque imperceptible, suivis d’un zeste de citron jaune exprimé au-dessus du verre, juste assez pour déposer une lumière fugace à la surface. On remue lentement, longuement, jusqu’à ce que tout se lie sans bruit. Le liquide devient ambré, profond, stable. Une fine tranche de citron séché repose sur le bord du verre, comme un souvenir figé dans le temps.

La première gorgée est douce et chaude, presque rassurante. Le whisky s’installe, le miel adoucit sans masquer, la fumée arrive en arrière-bouche comme une pensée lointaine. Rien n’agresse. Tout persiste. C’est un cocktail qui ne cherche pas à impressionner mais à accompagner. Le moment idéal pour le boire ? Lors de la seconde partie de Shine On You Crazy Diamond, quand la musique semble tourner sur elle-même, ou à la toute fin de l’album, quand le silence redevient une présence. Absent Friend est un verre de contemplation, une manière de célébrer les cinquante ans de Wish You Were Here sans nostalgie excessive, simplement en acceptant que certaines absences deviennent, avec le temps, une forme de lumière.

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