Sorti le 7 novembre 2025, La Fuite en avant est un album qui ne cherche pas la gloire, mais la respiration. Après le triomphe de Civilisation et la parenthèse cinématographique de Yoroï, Orelsan se dénude dans un disque plus introspectif, hanté par la paternité, la fatigue du succès et la peur de se perdre. Moins manifeste que confession, l’album déroule le journal intérieur d’un homme qui court toujours, mais qui désormais sait pourquoi.
Dès les premières secondes, la tension est là. La voix d’Orelsan ne déclame plus : elle raconte, avec une distance étrange, comme si le narrateur observait sa propre chute au ralenti. Le titre, La Fuite en avant, résume tout — ce mouvement instinctif pour éviter l’effondrement, cette course sans horizon qu’on appelle la survie.
Dans une interview donnée à Quotidien, le rappeur normand explique : « C’est un album sur la paternité, le bonheur et la peur de ne plus être à la hauteur. » Il y évoque les vertiges du succès, les addictions, les reflets trompeurs de la célébrité. Après avoir décrit la société (Civilisation), il s’attaque à lui-même. Musicalement, le disque conserve la texture glacée qu’on lui connaît — synthés nocturnes, percussions digitales, flow mesuré — mais s’ouvre à des collaborations inattendues. Parmi elles, le nom de Thomas Bangalter (ex-Daft Punk) surgit discrètement dans les crédits, comme un fil d’or sous la poussière. Les productions oscillent entre spleen électronique et pulsations organiques : on passe de la rage contenue à la mélancolie lumineuse, du bitume à la mer.
De fait, Orelsan ne rappe plus pour convaincre, il rappe pour comprendre. Son écriture, toujours précise, devient plus elliptique, plus intérieure. Chaque phrase semble à deux doigts de s’interrompre — comme si la vérité, parfois, pesait trop lourd pour être dite en entier.
Les ombres et la lumière
Pour autant, La Fuite en avant n’est pas un album triste. Il respire, il s’éclaire. Entre deux morceaux sombres, un humour discret refait surface, comme une bouée de sauvetage. Orelsan y parle d’amour, d’enfance, de ces petits gestes qui retiennent l’effondrement. “Il y a des jours où j’ai juste envie de disparaître, mais je me rappelle que j’ai quelqu’un qui compte sur moi,” confie-t-il dans un couplet qui sonne comme une prière profane.
RFI décrit l’album comme un entre-deux : « Un disque qui oscille entre apaisement et lassitude. » Le constat est juste. L’artiste ne cherche plus à dénoncer ni à provoquer : il constate, il accepte. La lumière n’est plus un néon, elle devient un feu doux, presque domestique. Sur “Ailleurs”, morceau central du disque, une mélodie fragile s’enroule autour d’un texte sur le renoncement et la fuite. Le refrain dit simplement : “Je cours encore, même quand tout s’arrête.” Tout l’album repose sur cette ambivalence : avancer pour tenir, parler pour ne pas sombrer, rire pour ne pas pleurer.
Et pourtant, La Fuite en avant reste un disque de mouvement. Orelsan y met en scène une tension constante entre la fuite et la quête, entre l’ombre et la lumière. La production, plus dépouillée que sur Civilisation, accentue ce sentiment d’espace : les basses respirent, les silences deviennent des battements de cœur. Le projet s’articule aussi comme un dialogue secret avec le film Yoroï, tourné la même année. L’un explore la fiction, l’autre la confession. Ensemble, ils dessinent le portrait d’un artiste arrivé à un point d’équilibre fragile — ni cynique, ni exalté, mais lucide. De fait, La Fuite en avant n’est pas une fuite du monde, mais un passage à travers lui. Orelsan s’y découvre à la fois fatigué et libre.
De la désillusion à la lucidité
Né à Alençon en 1982, Aurélien Cotentin, alias Orelsan, a longtemps été vu comme l’éternel adolescent du rap français. En 2009, Perdu d’avance posait les bases d’une écriture ironique et désabusée ; en 2011, Le Chant des sirènes ouvrait une brèche plus émotionnelle. Puis vint La Fête est finie — et son succès planétaire — avant Civilisation, fresque générationnelle sur la désillusion collective. Aujourd’hui, avec La Fuite en avant, Orelsan n’essaie plus de commenter le monde : il le traverse. Son regard s’est affiné, son ton s’est apaisé, sans perdre sa lucidité. Ce n’est plus un moraliste ni un provocateur, mais un témoin. Un homme qui a appris que, parfois, courir est la seule façon de tenir debout.
Orelsan : La fuite en avant (7th magnitude – Strong ninja – Sony music)
Les dates de la tournée 2026







