Le documentariste préféré des ateliers signe un film anniversaire sur la maison Balmain. Un hommage ciselé, drôle et lucide, qui revisite quatre-vingts ans d’audace française et d’élégance armée.
Le 18 septembre 1945, dans un Paris encore marqué par la guerre, Pierre Balmain présentait sa première collection au 44 rue François-1er, dans un salon feutré aux rideaux de velours. Loin d’un simple défilé, c’était un acte fondateur : celui d’un créateur qui rêvait de « restaurer la beauté ». Quatre-vingts ans plus tard, la maison porte toujours cette adresse mythique, et c’est Loïc Prigent qui s’empare de cet anniversaire pour en faire un récit de mode et de mémoire. Son documentaire, 80 ans : La Création de la Maison Balmain, disponible sur YouTube, retrace les métamorphoses d’une griffe française devenue symbole de prestige et de réinvention permanente.
Dans son style reconnaissable — vif, précis, faussement léger — Prigent tisse une histoire à plusieurs voix. Il évoque d’abord l’intuition du fondateur, ce goût du grand geste, de la féminité architecturée, des volumes maîtrisés. Les images d’archives se mêlent à des séquences d’ateliers où le fil, la craie et la main racontent mieux que les discours l’art de construire une silhouette. On y croise aussi les couturières d’hier, penchées sur leurs toiles, et les artisans d’aujourd’hui, concentrés sur des broderies aux reflets d’or. Entre passé et présent, le film rappelle que la mode n’est jamais un musée : elle respire, elle tremble, elle s’adapte.
Entre paillettes et patrimoine
Mais 80 ans : La Création de la Maison Balmain n’est pas un simple hommage patrimonial. Le documentaire s’ouvre sur Olivier Rousteing, directeur artistique depuis 2011, qui a transformé la maison en phénomène pop mondial. Sa phrase d’ouverture — « Vous pensiez que j’étais flashy ? Regardez l’héritage de Monsieur Balmain ! » — sonne comme une déclaration d’amour ironique. Prigent s’en amuse : il filme l’excès, les épaulettes, les paillettes, mais toujours avec tendresse. Il ne s’agit pas de juger, mais de comprendre comment une maison née dans la France de l’après-guerre s’impose aujourd’hui dans la culture de l’influence et du grand spectacle.
Ce jeu d’époques donne au film une dimension presque philosophique. Prigent interroge la notion même d’héritage : comment une marque peut-elle rester fidèle à son fondateur tout en parlant à une génération qui pense en hashtags ? Il filme Rousteing non comme une star, mais comme un artisan contemporain, entouré de son équipe, oscillant entre inspiration et épuisement. Derrière la brillance, il y a la fragilité du geste créatif — cette tension permanente entre le désir d’innover et le devoir de respecter.
Le réalisateur ne se contente pas d’illustrer : il raconte la couture comme un théâtre de vies. Sa caméra s’attarde sur les gestes minuscules, les regards, les fils qui s’emmêlent. On entend sa voix, pleine de malice, commenter un essayage ou une robe d’archive comme on parlerait d’un tableau. Ce ton à la fois amusé et érudit, déjà présent dans ses séries cultes Signé Chanel ou Le Jour d’Avant, fait de lui un conteur unique de la mode — un témoin plus qu’un critique, un observateur complice.
Un anniversaire cousu main
À travers Balmain, il raconte aussi la mode française dans son ensemble : son rapport au prestige, sa pudeur face au marketing, sa manière de transformer les crises en défilés triomphants. Le film, accessible gratuitement, agit comme une capsule de mémoire : un rappel que la couture est un patrimoine vivant, où chaque point de fil dit quelque chose de notre époque.
En définitive, 80 ans : La Création de la Maison Balmain n’est pas qu’un documentaire de mode, c’est un film sur la transmission, la passion et le temps qui passe. Prigent y célèbre la main autant que la vision, le détail autant que la démesure. Et, fidèle à sa marque de fabrique, il termine sur un sourire : celui de ceux qui continuent à croire que la beauté se coud à la main — et se raconte à voix basse.
Loïc Prigent, le conteur des coulisses
Réalisateur, journaliste et scénariste né en 1973 à Plouescat, en Bretagne, Loïc Prigent est devenu en vingt ans l’un des grands chroniqueurs de la mode contemporaine. De Signé Chanel à Le Jour d’Avant ou 52 minutes de mode, ses documentaires allient humour, empathie et précision. Avec sa voix reconnaissable entre mille, il filme les ateliers comme d’autres filment les batailles : en cherchant la tension, le génie et la grâce dans les détails.
Loïc Prigent : La création de la maison Balmain – Visible sur la chaîne Youtube de Loïc Prigent







