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Jean-Charles de Castelbajac, l’arc-en-ciel en œuvre

Entre enfance, pop art et haute couture, le créateur français dessine une mode-manifeste, libre et joyeuse.

“Je vois mon travail comme un archipel. Chaque projet est une île reliée aux autres par l’océan de mon style.” – Jean-Charles de Castelbajac

Son nom est une couleur à lui seul. Jean-Charles de Castelbajac habite la mode comme un territoire d’imagination pure, où le jeu devient sérieux, où l’art flirte avec l’enfance. Depuis plus de cinquante ans, il réinvente la couture à travers des gestes d’amour, d’ironie et de liberté. Dans son univers, une robe peut parler de religion, un manteau peut rire, et une couverture d’écolier devenir manifeste.

Les origines du geste : enfance, couverture et subversion

Tout commence à Casablanca, où il naît en 1949, avant de grandir en France. Son enfance est marquée par la solitude des pensionnats et l’éblouissement des images. Il y découvre la puissance du rêve et l’importance du symbole. Adolescent, il découpe, colle, transforme tout ce qu’il touche. Un jour, il coud dans sa chambre un manteau taillé dans une couverture d’école. Le geste est instinctif, presque sacrilège. Pourtant, il contient déjà tout : l’idée de réappropriation, de détournement, d’irrévérence tendre.

Quelques années plus tard, avec sa mère, il fonde Ko & Co, petite maison visionnaire née dans la ferveur de 1968. Le jeune créateur détourne les matériaux, fabrique des robes en couverture, des manteaux en tapisseries, des icônes en patchwork. Le monde découvre une audace joyeuse, un goût pour l’assemblage et le symbole. Chez Castelbajac, la mode n’est pas un protocole mais un langage. Elle parle de liberté, d’humour et de résistance.

Ce goût pour le jeu ne l’a jamais quitté. Il y a, dans son œuvre, quelque chose de profondément enfantin — non par naïveté, mais par vitalité. L’enfant qu’il fut n’a pas disparu : il continue d’inventer, de rêver, de croire que la couleur peut sauver le monde.

Couleurs, corps et culture pop : la marque Castelbajac

À partir des années 1980, son univers s’affirme. Les couleurs primaires deviennent sa grammaire. Le rouge, le jaune et le bleu s’imposent comme un triptyque sacré, une signature. Il peint les vêtements comme des toiles, convoque les saints et les super-héros, croise les anges et les punks. Sa mode s’amuse des contradictions, mêle le sacré et le profane, le trivial et le noble.

Influencé par l’art contemporain, Castelbajac dialogue avec le pop art, le street art, les dessins d’enfants, la bande dessinée. Il admire Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Warhol. Avec eux, il partage la même foi dans la puissance des signes. “J’ai toujours voulu être un passeur entre les disciplines, un témoin de mon temps.” Il peint sur des vestes, brode des mots sur des chemises, imprime des visages sur des robes. Chaque création devient un poème textile, un fragment de culture.

Dans ses défilés, le spectacle est total. Il convoque des armées d’anges, des soldats en peluche, des femmes-icônes. Il transforme la mode en tableau vivant. Ses vêtements sont des slogans poétiques, ses collections des manifestes de joie. À travers cette effervescence, une idée se dessine : la mode n’est pas seulement apparence, elle est un état d’esprit. Elle parle du monde, de la société, de la foi qu’il faut avoir dans la beauté.

Cette approche, à la fois érudite et populaire, lui vaut une place à part. Ni totalement dans le luxe, ni tout à fait dans le streetwear, Castelbajac occupe une zone rare : celle où l’art rencontre la vie. Ses créations pour Madonna, Lady Gaga ou Kanye West l’ont rendu universel, mais toujours singulier. Il reste fidèle à sa conviction première : le vêtement est un message. Et le message, chez lui, est clair : vivre, aimer, créer.

L’art de l’étrange sérieux : récits, collaborations, signes

Au fil du temps, Jean-Charles de Castelbajac s’impose comme un artiste global. Son travail dépasse la couture pour s’étendre au design, à l’illustration, à la scénographie. Il imagine des uniformes pour les compagnies aériennes, des collections pour Le Coq Sportif, des œuvres pour des galeries. Chaque collaboration devient un terrain d’exploration, un pont entre disciplines. “Je suis un bâtisseur d’archipels.”

Son œuvre se nourrit de symboles et de rites. Quand il conçoit les vêtements liturgiques pour le pape Jean-Paul II lors des Journées Mondiales de la Jeunesse en 1997, c’est tout son imaginaire qui s’élève. Les couleurs primaires deviennent ici langage spirituel. Les motifs, des prières géométriques. La couture, un acte de foi. Il prouve que la mode peut aussi parler d’âme, sans perdre sa légèreté.

Artiste avant tout, il n’a jamais séparé la mode du dessin, le geste du mot. Dans ses carnets, il écrit, croque, commente, invente des alphabets. Les signes sont partout : croix, cœurs, étoiles. Son univers visuel ressemble à un graffiti céleste. C’est à la fois poétique et savant, candide et conscient. Chez lui, l’ironie devient un art du sérieux : la joie, une discipline.

Toujours curieux, il explore aussi les frontières du numérique. En 2020, il s’associe à Maison & Objet pour repenser la création comme un “dialogue entre pixel et pigment”. Fidèle à son credo, il cherche l’émotion derrière la technologie. “L’avenir doit rester sensible. Même les machines ont besoin de rêve.”

La haute couture d’un monde multiple

Aujourd’hui, Jean-Charles de Castelbajac continue d’habiter la mode comme un poète en mouvement. À plus de soixante-quinze ans, il ne revendique ni héritage ni nostalgie. Il préfère parler d’élan, de curiosité, de transmission. Il enseigne, dessine, expose, collabore encore. Pour lui, créer, c’est relier : relier les gens, les idées, les émotions.

Sa vision reste d’une clarté solaire. La mode n’est pas un miroir, c’est une lanterne. Elle éclaire ce que nous sommes, ce que nous espérons, ce que nous aimons. Dans un monde saturé de cynisme, il continue d’affirmer la joie comme une forme de résistance. “Je crois à la beauté comme à un acte politique.”

Et lorsque, dans ses dessins, apparaissent des anges, des arcs-en-ciel ou des enfants, on comprend que ce n’est pas une signature. C’est une promesse. Celle d’un art qui ne sépare pas le jeu de la foi, ni la couleur de la vérité. Chez Jean-Charles de Castelbajac, l’arc-en-ciel n’est pas décoratif : il est direction.


Jean-Charles de CastelbajacSite officiel : jeancharlesdecastelbajac.com

Exposition : L’imagination au pouvoir, du 12 décembre 2025 au 23 juillet 2026 aux Abattoirs, Toulouse

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