Depuis le début des années 2010, Fat White Family occupe une place à part dans le paysage musical britannique. Groupe instable, provocateur, profondément politique sans jamais être programmatique, il a construit une œuvre abrasive, marquée par l’excès, la désillusion et une volonté farouche de ne pas se rendre aimable. Une trajectoire radicale, à l’image de son époque.
“We didn’t want to be nice. We wanted to be honest.”
Chez Fat White Family, cette déclaration n’a rien d’un slogan. Elle fonctionne comme une ligne de conduite. Dès ses débuts, le groupe a refusé toute forme de polissage esthétique ou moral. Leur musique ne cherche ni l’adhésion immédiate ni le consensus. Elle expose, elle dérange, elle met à nu. À travers des textes crus et une énergie instable, Fat White Family donne forme à une colère diffuse, ancrée dans le réel britannique contemporain.
South London, colère sociale et premières fractures
Fat White Family se forme au début des années 2010 dans le sud de Londres, autour de Lias Saoudi et de son frère Nathan, rapidement rejoints par Saul Adamczewski et d’autres musiciens issus de la même scène alternative. Le contexte est déterminant. Londres n’est plus alors la capitale euphorique de la Britpop, mais une ville sous tension, marquée par la précarité, l’ennui et une désillusion politique profonde. Le premier album, Champagne Holocaust (2013), traduit ce climat sans filtre. Le son est brut, parfois volontairement chaotique, nourri de post-punk, de blues déglingué et d’une théâtralité sombre. Les textes oscillent entre satire politique, autoportrait brutal et malaise existentiel. Le groupe ne cherche pas à représenter une génération, mais à exposer un état de délabrement moral et social. La réception est clivante, mais Fat White Family s’impose d’emblée comme une anomalie dans le paysage rock britannique.
Avec Songs for Our Mothers (2016), le groupe pousse encore plus loin sa logique de confrontation. L’album est dense, sombre, presque étouffant. Les textes abordent frontalement la violence sociale, le cynisme politique, la sexualité comme terrain de domination et l’addiction comme symptôme collectif. La provocation n’est jamais gratuite. Elle agit comme un outil pour forcer l’écoute, déplacer le regard, rendre inconfortable ce qui est habituellement neutralisé.
Sur scène, cette radicalité prend une forme physique. Les concerts du collectif sont imprévisibles, parfois chaotiques, souvent tendus. Lias Saoudi occupe l’espace avec une intensité dérangeante, entre prêche et désenchantement. Le live devient un lieu de confrontation directe, autant pour le public que pour le groupe lui-même. Cette période est aussi marquée par des tensions internes profondes. Le départ de Saul Adamczewski après Songs for Our Mothers constitue une rupture majeure. Le groupe se retrouve au bord de l’implosion. Loin de signer la fin du projet, cette crise oblige Fat White Family à se redéfinir.
Mutation, distance et survie artistique
Avec Serfs Up! (2019), Fat White Family amorce un déplacement décisif. Le son s’élargit, intègre davantage de synthétiseurs, de références à la pop européenne et à une forme de cabaret sombre. Le regard reste acide, mais gagne en distance et en ironie. Le disque apparaît comme une lecture lucide et absurde de l’Angleterre post-Brexit, moins frontale mais tout aussi critique.
Le déménagement partiel du groupe à Sheffield accompagne cette transformation. Loin de la pression londonienne, Fat White Family trouve un nouvel équilibre. Cette évolution se confirme avec Yum (2023), album plus resserré, plus maîtrisé, sans renoncer à la noirceur qui fait l’identité du groupe. Les thèmes restent constants : aliénation, pouvoir, absurdité contemporaine mais l’écriture gagne en précision, presque en lisibilité. Fat White Family n’a jamais cherché la respectabilité ni la reconnaissance facile. Leur importance tient à cette constance radicale. Ils ont ouvert un espace pour une musique britannique qui refuse la consolation, qui accepte la contradiction et qui continue de poser des questions dérangeantes. Groupe inconfortable, souvent marginal, mais essentiel, ils rappellent que le rock peut encore être un lieu de friction et de vérité.
Fat White Family – Konk if you’re lonely : Fat White Family live at Konk Studios (Domino records) – Sortie le 12 décembre 2025







