Sorti le 21 novembre 2025, Cabin in the Sky marque le retour bouleversant de De La Soul, leur premier album depuis la disparition de Trugoy the Dove en 2023. Un retour qui n’est ni un adieu ni un mausolée : plutôt une manière de tenir debout, de continuer à dire “nous” malgré le vide. Selon The Guardian, c’est “a vibrant and heartfelt tribute … loosely centred around themes of death and the afterlife (un hommage vibrant et sincère …) traversé par les thèmes de la mort et de l’au-delà ”). L’album ne porte pas un deuil : il en invente la lumière.
Dès l’ouverture avec “Cabin Talk”, une adresse parlée signée Giancarlo Esposito, on comprend que l’album cherche à nommer les absents autant qu’à réanimer les vivants. Shatter the Standards le formule ainsi : “the album… lives in that space between loss and light (l’album… habite cet espace entre la perte et la lumière”). De La Soul, fidèle à son ADN d’explorateurs doux-amers, s’appuie sur un trio de producteurs légendaires — DJ Premier, Pete Rock, Supa Dave West — pour donner aux morceaux un grain à la fois classique et perméable aux blessures du présent.
Posdnuos rappe avec un tremblement neuf : une voix qui a perdu un frère et qui refuse pourtant de renoncer à la joie. Le disque, long, ample, parfois labyrinthique, avance par vagues : colère, humour, fragilité. L’hommage ne devient jamais pesant. The Guardian insiste : “a full-colour celebration … that never feels heavy (une célébration pleine de couleurs … qui ne devient jamais lourde”). C’est peut-être la plus grande réussite du projet : transformer la peine en mouvement.
Les voix de la lumière
Sur “Sunny Storms”, Posdnuos confie la maturité du groupe avec une simplicité désarmante : “as we got older, we talk healthier (maintenant qu’on a vieilli, on parle mieux”). Plus loin, sur “Cabin in the Sky”, il évoque un paradis où il espère trouver une place — avant de tourner la scène en dérision avec une blague sur la gentrification “banned in heaven (interdite au paradis”). Humour, lucidité, tendresse : le trio originel respire encore dans ces interstices.
Un des atouts majeurs de Cabin in the Sky est sans doute l’abondance et la qualité des featuring : le groupe ouvre son registre à une constellation de voix — Nas (sur « Run It Back!! ») et Killer Mike (sur « A Quick 16 for Mama ») apportent le poids du rap engagé ; Black Thought s’inscrit dans l’héritage de la légende hip-hop tandis que Common et Slick Rick se joignent à l’effort collectif sur « Yours », conjurant à la fois mémoire et relève. Sans oublier Yukimi Nagano (Little Dragon) qui introduit une nuance électro-soul sur « Cruel Summers Bring FIRE LIFE!! ».
Cathédrale en mouvement
Avec plus de soixante-dix minutes et vingt morceaux, Cabin in the Sky pourrait sembler démesuré. Mais il épouse parfaitement l’identité d’un groupe qui n’a jamais confondu concision et vérité. The Times salue ce retour après neuf ans : “a joyous return to form (un retour à la forme, joyeux et affirmé”). Le disque oscille entre spiritualité discrète, funk clairsemé, samples aux angles doux, éclats d’espoir. Un album qui fait avancer le hip-hop alternatif tout en lui rappelant ses racines.
À travers cette cathédrale mouvante de beats, d’archives, de voix, De La Soul démontre que la mémoire n’est pas un poids : c’est une matière. Le ciel du titre n’est pas religieux : il est métaphorique, un endroit où la musique continue de respirer même lorsque les vies s’arrêtent.
L’art du décalage devenu héritage
Né à Long Island dans les années 1980, De La Soul — Posdnuos, Trugoy the Dove, Maseo — révolutionne dès 1989 le hip-hop avec 3 Feet High and Rising, album surréaliste, drôle, novateur, devenu un classique du native tongues movement. Leur identité repose sur l’intelligence des samples, l’humanisme, la douceur ironique. Après des années de bataille pour récupérer leurs masters et la disparition de Trugoy en 2023, Pos et Maseo choisissent de continuer. Cabin in the Sky en est la preuve : une œuvre de transmission, de gratitude, de survie poétique.
De La Soul : Cabin in the Sky (Mass appeal)







