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L’Éternel marin de Venise : L’adieu à Tedzio

Venise, octobre 2025 — La nouvelle est tombée comme un voile noir sur les canaux : l’acteur qui incarna Tedzio, ce jeune marin polonais aux allures de rêve éveillé dans Mort à Venise de Luchino Visconti, nous a quittés. Avec lui, s’éteint une silhouette, une présence qui, en 1971, avait marqué le cinéma d’une grâce à la fois virile et fragile. Mais plus que tout, ce sont ses tenues de marin, ces uniformes blancs et bleus, qui restèrent gravés dans la mémoire collective. Des vêtements qui n’étaient pas de simples costumes, mais des extensions de son âme : pureté, jeunesse, et une beauté presque insoutenable.

Tedzio, dans le film, porte le blanc comme on porte un destin. Ce n’est pas un hasard si Visconti, obsédé par la perfection esthétique, avait choisi des matières immaculées, presque translucides. Le pantalon large, la veste ajustée, le col marin : chaque détail semble taillé pour épouser la lumière dorée de Venise. Le blanc, ici, n’est pas celui de la marine, mais celui d’un idéal — celui d’une jeunesse qui, déjà, se sait éphémère.

Et puis, il y a ce bleu. Le bleu des rayures, discret, presque timide, qui rappelle les vagues de l’Adriatique. Un bleu qui n’est ni militaire ni strict, mais poétique, comme une promesse de voyage. Quand Tedzio marche sur la plage, les pieds nus dans le sable, son uniforme devient une seconde peau, un lien entre la terre et la mer, entre l’enfance et l’âge adulte.

Un Style, Une Rébellion

À l’époque, les tenues de marin n’étaient pas qu’un clin d’œil à la tradition. Elles étaient une provocation. Visconti, en habillant ainsi son personnage, jouait avec les codes : Tedzio n’est pas un soldat, mais un adolescent libre, presque sauvage. Ses vêtements, bien que structurés, laissent deviner une insouciance, une grâce qui défie les conventions. Le col ouvert, les manches retroussées, les cheveux dans le vent — tout respire la révolte douce, celle qui naît quand la beauté se heurte au monde.

Les critiques de l’époque avaient noté cette ambiguïté. Certains y voyaient une métaphore de la pureté corrompue, d’autres une célébration de la liberté. Mais tous s’accordaient sur un point : Tedzio, dans son uniforme, était intemporel. Il aurait pu appartenir au XIXe siècle comme aux années 1970. Son style transcendait les époques, tout comme le film lui-même.

Aujourd’hui, alors que l’acteur s’en va, ses tenues de marin restent. Elles hantent les écrans, les livres de mode, les mémoires des cinéphiles. Des créateurs, de Yves Saint Laurent à Jean-Paul Gaultier, s’en sont inspirés. Des photographes, des peintres, des écrivains ont tenté de capturer cette élégance-là : à la fois stricte et sensuelle, classique et subversive. Peut-être est-ce là le génie de Visconti, et de son acteur : avoir transformé un uniforme en symbole. Tedzio, dans son costume de marin, n’était pas un personnage. Il était une allégorie — celle de la jeunesse qui fuit, de la beauté qui résiste, de la mélancolie qui, toujours, nous rattrape.

Adieu, Marin Éternel

Alors, en cet automne 2025, alors que Venise pleure son enfant perdu, une image persiste. Celle d’un jeune homme, debout sur une jetée, le vent dans les cheveux, vêtu de blanc et de bleu. Une image qui nous rappelle que le cinéma, parfois, capture l’éternel. Et que certaines tenues, comme certaines âmes, ne meurent jamais vraiment. Elles naviguent, simplement, vers d’autres rivages.


Mort à Venise de Luchino Visconti (1971) avec Björn Andrésen, Dirk Borarde et Silvana Mangano

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