Il était une fois un trio londonien qui, après avoir longtemps cultivé l’art de l’ombre, a soudain décidé d’embrasser la lumière. Pas celle, cruelle, des projecteurs médiatiques, mais cette clarté ambiguë où se mêlent l’ironie, la nostalgie et une forme d’arrogance assumée. Bar Italia, avec Some Like It Hot, son troisième album sous l’égide de Matador, ne se contente pas de signer un disque de plus dans la discographie du post-punk contemporain. Il en expose les contradictions, en joue avec une désinvolture qui frôle l’insolence, et en fait un objet à la fois profondément ancré dans son époque et délibérément intemporel.
Sorti le 17 octobre 2025, cet disque ne cherche ni à séduire ni à provoquer pour l’unique plaisir de choquer. Il s’installe, plutôt, comme une évidence : celle d’un groupe qui, après avoir tâtonné dans les margines de la scène underground, assume enfin son statut d’acteur majeur d’une musique qui n’a plus peur de ses propres excès.
L’émergence d’un trio qui n’a plus rien à prouver
Bar Italia n’est pas né de la dernière pluie. Formé à l’aube des années 2020, en pleine pandémie, le trio composé de Nina Cristante, Sam Fenton et Jezmi Tarik Fehmi a d’abord évolué dans une semi-clandestinité, sortant des disques sur des labels confidentiels et refusant les interviews comme on décline une invitation trop pressante. Leur musique, elle, parlait pour eux : un mélange de post-punk nerveux, de Britpop désenchantée et de psychédélisme lo-fi, le tout enveloppé dans une production qui semblait avoir été enregistrée dans un garage londonien un soir de pluie.
Puis est venu le tournant. En 2023, avec la signature chez Matador et la sortie de Tracey Denim puis The Twits, le groupe a commencé à émerger, non sans une certaine réticence. « On ne voulait pas devenir ce que les gens attendaient de nous », confiait Nina Cristante à The Line of Best Fit, comme si le succès était une trahison en puissance. Mais avec Some Like It Hot, quelque chose a changé. Le trio ne se cache plus. Il ne joue plus à l’énigme. Il assume, enfin, ce qu’il est devenu : un groupe dont l’aura dépasse largement les cercles des initiés, sans pour autant renoncer à l’esprit qui l’a vu naître.
Le titre de l’album, emprunté au film de Billy Wilder, n’est pas un simple clin d’œil cinéphile. « Some Like It Hot », c’est cette idée que le glamour et la déchéance, le sérieux et la parodie, peuvent coexister sans se contredire*, explique Cristante. C’est un album sur les apparences, sur ce qu’on montre et ce qu’on cache. Et sur le fait qu’au fond, personne n’est vraiment ce qu’il prétend être ». Une déclaration d’intention qui résume à elle seule l’ambition du disque : être à la fois un hommage et une moquerie, un manifeste et une farce.
Un son qui oscille entre rigueur et chaos
Musicalement, Some Like It Hot est un exercice d’équilibriste. D’un côté, il y a la rigueur des structures, des mélodies qui s’accrochent à l’oreille comme des refrains pop, des guitares qui rappellent tantôt les excès des années 80, tantôt la nonchalance du rock indépendant des années 2000. De l’autre, il y a ce chaos maîtrisé, ces moments où le groupe semble sur le point de tout faire dérailler, avant de se rattraper in extremis.
Prenez Cowbella, le premier single extrait de l’album. Avec ses riffs de guitare électriques et son rythme entraînant, le morceau évoque à la fois la frénésie des concerts punk et la mélancolie des ballades britpop. « On voulait quelque chose qui donne envie de danser, mais qui ait aussi une profondeur, un truc qui reste en tête sans être mièvre », explique Sam Fenton. Ou écoutez I Make My Own Dust, où les guitares saturées de Jezmi Tarik Fehmi dialoguent avec la voix à la fois douce et puissante de Nina Cristante, créant une tension qui rappelle les meilleurs moments de Yo La Tengo.
Pourtant, tous les morceaux ne se valent pas. Pitchfork souligne avec justesse que l’album, malgré ses fulgurances, peut parfois manquer de cohérence, comme si Bar Italia avait du mal à décider s’il voulait être un groupe de post-punk pur et dur ou une formation pop accessible. Mais c’est précisément cette hésitation, cette incapacité à se fixer dans une case, qui rend Some Like It Hot si captivant. « On n’a pas voulu faire un album parfait. On a voulu faire un album qui nous ressemble, avec ses forces et ses faiblesses », assume Cristante.
Des textes où l’ironie le dispute à la mélancolie
Si la musique de Bar Italia est souvent saluée pour son énergie brute, ses textes le sont tout autant pour leur finesse. Nina Cristante, principale parolière du groupe, y aborde des thèmes aussi variés que l’identité, les relations amoureuses ou la quête de sens, toujours avec une pointe d’ironie et une distance qui empêche jamais le pathos de basculer dans le mélodrame.
Dans Eyepatch, l’un des morceaux les plus intéressant de l’album, elle évoque une rupture amoureuse avec une désinvolture qui frise l’insolence. « C’est une chanson sur le fait de se relever, de continuer à avancer même quand tout s’effondre. Mais c’est aussi une chanson sur le fait de ne pas se prendre au sérieux », résume-t-elle. Ou dans The Lady Vanishes, où une mélodie envoûtante se mêle à des paroles plus sombres, évoquant la disparition et le mystère, comme si le groupe jouait à cache-cache avec ses propres démons.
Ce qui frappe, c’est cette capacité à naviguer entre légèreté et profondeur, entre provocation et mélancolie. « Les gens projettent souvent des idées sur nous plutôt que de voir ce qu’on est vraiment. Avec cet album, on a voulu brouiller les pistes, jouer avec ces attentes », explique Jezmi Tarik Fehmi. Une stratégie qui paie : Some Like It Hot est un album qui se laisse écouter et réécouter, révélant à chaque fois de nouvelles couches de sens, de nouvelles subtilités.
Un album qui capture l’esprit d’une époque
Sorti en pleine effervescence de la scène musicale britannique, Some Like It Hot s’inscrit dans un contexte où le post-punk et le rock indépendant connaissent un regain d’intérêt. Des groupes comme Wet Leg ou Shame ont montré que ce genre pouvait être à la fois subversif et accessible. Bar Italia, avec cet album, prouve qu’il peut aussi être intelligent, drôle et profondément humain.
Pour Rolling Stone, Some Like It Hot est « l’un des albums les plus excitants de l’année, un mélange de glamour, de provocation et de mélancolie qui rappelle à la fois les excès des années 80 et la désinvolture du rock indépendant actuel ». Et si certains, comme The Quietus, regrettent que l’album manque parfois de cohérence, tous s’accordent à dire qu’il marque un tournant dans la carrière du groupe. « Ils ont ce don pour transformer des émotions complexes en chansons qui semblent simples », souligne le magazine.
En cela, Some Like It Hot n’est pas seulement un album. C’est une déclaration de maturité, une preuve que Bar Italia a trouvé sa voix sans perdre son âme. « Personne n’est parfait », rappelle la réplique culte du film qui a inspiré le titre de l’album. Mais avec Some Like It Hot, Bar Italia s’en approche dangereusement.
Bar Italia : Some it hot (Matadors records)- Disponible depuis le 17 octobre 2025







