Sorti le 31 octobre 2025, Iconoclasts s’affirme comme un sommet de la discographie d’Anna von Hausswolff. Plus charnel, plus direct, l’album mêle la ferveur mystique à une tension terrestre, entre orgue d’église, saxophones possédés et pulsations électroniques. On y retrouve la grandeur du sacré et l’urgence du corps : une musique de lumière et de poussière, où la peur devient énergie, et la foi, un cri.
Briser pour renaître
Dès l’ouverture, le ton est donné : Iconoclasts est un geste de rupture. En nommant son disque ainsi, Anna von Hausswolff annonce son désir de briser les idoles — celles de la musique, du langage, ou même d’elle-même. Ce projet, écrit-elle, est né « d’une fatigue envers le silence ». La première écoute le confirme : chaque morceau semble s’arracher à une prière trop ancienne.
La presse anglo-saxonne salue cette audace. Metacritic résume : “Here, she wrestles with loss, faith, and love — mature, deeply universal themes.” – « Ici, elle lutte avec la perte, la foi et l’amour — des thèmes profonds et universels. ». Ainsi, Iconoclasts n’est pas un album de révolte mais de mue. Tout vacille, tout s’effondre, pour mieux renaître. Sur Stardust, sa voix se fait incantation : “I’m breaking up with language.” – « Je romps avec le langage. » Dès lors, la parole devient son, le sens devient matière. À travers l’épaisseur des drones et des réverbérations, Anna semble abolir toute frontière entre émotion et structure. La destruction n’est plus un drame, mais une respiration nécessaire.
Les voix de la lumière
Pourtant, cet éclat ne vient pas d’elle seule. Pour la première fois, Anna ouvre son univers à d’autres voix, comme des échos à ses propres déchirures. On croise ainsi Iggy Pop sur The Whole Woman, figure spectrale d’une masculinité vieillissante, et Ethel Cain sur Aging Young Women, apôtre d’une jeunesse hantée. Ensemble, ils forment un triptyque de blessures et de rédemption. Selon Stereoboard, le morceau avec Cain « explore le moment où le passage du temps devient douleur, faute de rêves accomplis ». – “Aging Young Women explores when the passing of time becomes a negative notion due to unfulfilled dreams.”
Ces présences extérieures ne sont pas décoratives : elles fissurent la solitude d’Anna. On entend, dans leurs timbres mêlés, la possibilité d’une communion. Même The Whole Woman, porté par Iggy Pop, se lit comme une inversion des rôles : la puissance brute du rockeur s’incline devant la vulnérabilité d’une voix féminine. De fait, la critique note un tournant vers des structures plus « classiques ». Northern Transmissions souligne : “On Iconoclasts, one can say that von Hausswolff has gone pop — in the sense that this album is more traditional than her previous works.” – « On peut dire qu’elle flirte avec la pop — dans le sens où cet album est plus structuré que ses précédents. »
Mais cette ouverture n’est pas concession : c’est une expansion. En élargissant son spectre, Anna fait de la clarté une forme d’exorcisme. Ses mélodies, désormais plus lisibles, ne cherchent pas à séduire ; elles respirent, enfin.
Cathédrale en mouvement
À mesure que l’album avance, un sentiment d’élévation s’impose. L’orgue monumental — instrument fétiche d’Anna — y dialogue avec le saxophone d’Otis Sandsjö, qui insuffle une chaleur presque charnelle à ces murs de sons. The Guardian évoque à ce propos « an exhilarating, euphoric goth songcraft », une écriture gothique exaltée et euphorique. Chaque morceau agit comme un pilier dans cette architecture mouvante. The Iconoclast, pièce maîtresse de onze minutes, est décrite par Sputnikmusic comme “an 11-minute behemoth of airy tribal atmospheres, anxiety-ridden post-rock buildups.” – « Un monstre de onze minutes, tissé d’atmosphères tribales aériennes et de montées post-rock angoissées. »
De fait, la musique d’Anna von Hausswolff n’a jamais été aussi vivante. On y perçoit l’énergie d’une cathédrale en mutation : les pierres bougent, les vitraux vibrent. Même dans ses moments les plus sombres, l’album respire. The Guardian note encore : “The songs surge and build… the bursts of noise feel cathartic. It’s as if the music is fighting against the tone of the lyrics.” – « Les morceaux gonflent et explosent ; les décharges de bruit deviennent cathartiques, comme si la musique luttait contre la noirceur des paroles. » Ainsi, Iconoclasts n’érige pas un monument figé : il trace un mouvement. Celui d’une artiste qui, en affrontant ses propres ténèbres, parvient à créer de la lumière — dense, minérale, presque tangible.
La prêtresse de l’orgue
Née à Göteborg en 1986, Anna von Hausswolff grandit dans une famille d’artistes. Son père, Carl Michael von Hausswolff, est un compositeur conceptuel reconnu pour ses expérimentations sonores. Très tôt, Anna se tourne vers le piano puis l’orgue, fascinée par sa puissance physique et sa spiritualité archaïque. Après un premier album, Singing from the Grave (2010), elle s’impose avec Ceremony (2012) comme une figure à part, entre liturgie et rock expérimental. Suivent The Miraculous (2015), Dead Magic (2018) et All Thoughts Fly (2020), œuvres monumentales où se croisent le sacré et le drone, la clarté du chant et la gravité du son.
Avec Iconoclasts, elle s’affirme comme l’une des artistes européennes les plus singulières de sa génération : compositrice de cathédrales sonores, sculptrice d’émotions, mystique moderne qui transforme la peur en beauté.
Bref
Quand les dernières réverbérations s’effacent, on croit entendre encore les pierres respirer. L’air vibre d’un éclat d’après-orage. Iconoclasts n’est pas un album à comprendre, mais à traverser : un passage entre la terre et le ciel, un feu lent dans la pierre. Et dans ce silence final, il reste une image : celle d’une lumière oblique qui glisse sur les vitraux, juste avant la nuit.
Anna von Hausswolff : Iconoclasts (Year0001) – Sortie le 31 octobre 2025







